1978, Iran, les prémices d'une révolution (archives inédites)

1978, Iran, les prémices d'une révolution

Documents exceptionnels et inédits.

Frédéric Fuochi

Responsable du pôle numérique et des collections patrimoniales sonores
Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale de Nice
avec l'aimable autorisation du donateur de ces archives

Depuis l'arrivée, à Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale de Nice, du don exceptionnel des collections sonores de la Ville de Monaco, nous avons tissé de nombreux liens avec d'anciens techniciens et journalistes à Radio Monte-Carlo. Parmi ces precieux contacts figure le donateur des présentes archives, M. Pierre Devoluy que nous tenons à remercier ici pour sa générosité et sa confiance. Les documents, tous inédits, publiés dans cet article, font écho à une actualité immédiate en Iran.

(Pierre Devoluy en Iran en 1978 à droite sur cette photo. Collections patrimoniales de la BMVR de Nice)

« Journaliste professionnel depuis l'âge de 21 ans, Pierre Dévoluy a commencé sa carrière à Radio Monte-Carlo en 1963 et y a travaillé pendant 25 ans. Il y a notamment été grand-reporter, couvrant la plupart des conflits des années 80 et 90. En parallèle au journalisme radio, il a collaboré aux quotidiens Le Monde, Libération, France-Soir, aux hebdomadaires L'Express, Le Point, Paris Match, ainsi qu'à l'Agence Gamma comme photo-reporter. Plus tard, directeur de deux radios puis rédacteur en chef de l'hebdomadaire Jeune Afrique, Pierre Dévoluy a été pendant quatre ans attaché à l'ambassade de France au Liban. Aujourd'hui à la retraite, il enseigne le journalisme à Nice - EDJ-Nouvelles - et intervient en universités au Liban et en Algérie où il est né. Outre ses nombreux articles et émissions, Pierre Dévoluy est co-auteur d'un livre-reportage sur la guerre des années 90 en Algérie et a participé à un ouvrage sur le conflit de 2006 au Liban. » (https://www.lecteurs.com/auteur/pierre-devoluy/3084045)

En 1978, en charge de couvrir les différents mouvements d'opposition au Shah, M. Devoluy se rend en Iran. En immersion périlleuse au coeur d'un pays en proie à une crise majeure, il y collecte de nombreux et précieux témoignages. C'est pourquoi le présent travail est aussi un hommage rendu aux journalistes de terrain qui, au péril de leur vie, informent et prennent le monde à témoin.

Le document sonore proposé dans cet article, inédit et exceptionnel, provient d’une cassette contenue dans les archives du journaliste. Ne disposant que d’informations parcellaires, un travail d’investigation a été nécessaire pour identifier la personne interviewée à partir des indications figurant sur la cassette : « Iran : 1978, révolution islamique. Interview du chef du “Djombesh”, mouvement d’opposition au Shah, non extrémiste, pourchassé par la SAVAC [SAVAK], service du Shah. (Téhéran)». Les archives de M. Devoluy contiennent également un grand nombre de photographies fort judicieusement datées et légendées. Parmi ces photos, un groupe de personnes photographié en 1978, dans la configuration d’une interview, paraissait intuitivement intéressant mais sans lien clairement établi.

Le nom du chef du mouvement « Djombesh » a été relativement simple à découvrir. Il s’agit de l’écrivain, journaliste et activiste Asghar Sayyed Javadi cité et interrogé, dans le document sonore, par l’intervenant principal. Cela prouve donc qu’il n’est pas la personne interviewée contrairement à ce qui est indiqué sur la cassette. Sur les photographies de la conférence de presse, figure bien Javadi ; un premier véritable indice établissant le lien entre ces photographies et le document sonore. Il restait encore à découvrir l'identité de l'intervenant sur la bande son : le personnage central sur nos archives photoraphiques. En poussant nos investigations sur Javadi et le mouvement "Djombesh", nous avons découvert la photographie suivante :

(https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Executive_committee_of_defence_of_freedom_and_human_rights-Iran.jpg)

Au bas de la photographie, intitulée “Executive committee of defence of freedom and human rights - Iran” (comité de défense de la liberté et des droits de l’homme – Iran), une légende : "Top left: Ahmad Sayyed Javadi, Top middle, Mehdi Bazargan, Top right: AliAsghar Sayyed Javadi, Middle right: Unknown, Middle right: Unknown, Bottom right: Abdolkarim Lahiji" Au centre donc, l’intervenant, Mehdi Bazargan, figure aussi sur nos photographies :

En 1978, Bazargan était universitaire. Ce qui correspond aux déclarations de l’intervenant sur notre archive sonore. Enfin, nous avons comparé la voix de l’intervenant avec celle de Bazargan. Les voix correspondent parfaitement. Ainsi, l’intervenant sur notre document sonore (et sur les photographies) est bien Mehdi Bazargan et non le fondateur du mouvement "Djombesh" Asghar Sayyed Javadi, même s’il intervient de temps à autre au cours de l’interview.

Mehdi Bazargan est une personnalité politique iranienne de premier plan. Il fut le tout premier Premier ministre du gouvernement de transition de l’Ayatollah Khomeiny après la révolution iranienne et la destitution du Shah. Bargazan est considéré comme l’une des principales figures des mouvements démocratiques et libéraux pendant la révolution. Mais peu de temps après sa nomination, opposé à l’instauration d’une république islamique en Iran, il se heurtera au pouvoir religieux. Mehdi Bazargan démissionnera, avec tout son cabinet, le 5 novembre 1979 au début de la crise des otages américains. Ce précieux document, présenté ici, est donc une conférence de presse donnée par Bazargan, au plus fort de la contestation irainienne peu de temps après le vendredi noir. Il y est question des répressions perpétrées par le pouvoir en déclin du Shah. Berzagan, par ses déclarations, mettait sa vie en danger (il était d'ailleurs poursuivi par la SAVAK, le service de sécurité intérieure du Shah) :

Ce document sonore est passionnant à plusieurs titres. Il constitue un inestimable (et courageux) témoignage historique de premier plan sur le niveau de violence de la répression qui régnait à cette époque en Iran. Il montre aussi les aspirations démocratiques du mouvement de contestation porté par les intellectuels iraniens, nuancées par l’affirmation que le pouvoir religieux des Ayatollahs sera difficilement contournable. En filigrane, Bazargan semble déjà percevoir que ses marges de manœuvre seront minces.

Déjà souligné au début de cet article, M. Devolouy, était en Iran dans cette période pour couvrir les mouvements de contestation notamment après le terrible « vendredi noir » qui fit plus de 4000 morts. C'est pourquoi, dans la liasse de photographies dont le lien avec le document sonore a été démontré, figure également (sans enregistrement sonore associé malheureusement) ces photographies inédites de l’Ayatollah Khamenei, actuel guide suprême de la révolution islamique en Iran, à l’époque Imam de Qom et des écoles islamiques. Qom est, dans cette période, le centre religieux de l’Iran et fut longtemps la ville de résidence de l’Ayatollah Khomeiny. Ainsi associées au documents sonores, ces photographies témoignent donc des deux grandes forces à l’œuvre durant la révolution : les démocrates libéraux portés par Bazargan et le pouvoir religieux incarné par Khomeiny à l’époque en exil en France.

© Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale de Nice, toute réutilisation, publication, copie des documents sonores et photographiques présentés dans cet article n’est pas autorisé sans l’accord de la BMVR de Nice.