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Stalingrad : choses vues : septembre 1942-janvier 1943 / par Vassili Grossmann
Edité par France d'abord. Paris - 1945
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du journalisme de guerre
« Stalingrad, Choses vues » fut le premier livre de Vassili Grossman édité en France, en janvier 1945. Il contient des articles sur la bataille de Stalingrad, écrits au cœur de l’action et publiés dans le journal de l’armée rouge, à la fin 1942. « Les Carnets de guerre » textes choisis et présentés par Antony Beevor et Liouba Vinogradova, publiés au Livre de Poche reprennent des passages de ces articles complétés par d’autres qui ne figuraient pas dans l’édition de 1945. Ils ne se limitent du reste pas à la bataille de Stalingrad. Cette nouvelle édition comporte un appareil critique qui n’est pas sans valeur historique, mais elle m’apparait beaucoup moins intéressante que le recueil de 1945, car elle tronque ces articles du meilleur de leur substance littéraire et aussi de leur sens profond. Grossman – et je le rapprocherai sur ce point de Curzio Malaparte – n’a pas son pareil pour recréer l’atmosphère cruelle de la guerre. Évoquant les tout débuts de la bataille, il écrit : « Le 6 août [1942], Iérémenko prit le commandement du front de Stalingrad. Un soleil implacable brûlait la steppe… L’armée reculait. Le visage des hommes étaient sombres. La poussière couvrait leurs vêtements, leurs armes ; elle se fixait sur la bouche des canons, la grosse toile qui couvrait les caisses contenant les papiers de l’état-major, les couvercles noirs et vernis des machines à écrire. Grise et sèche, elle s’infiltrait dans ans les narines et le gosier. Les lèvres qu’elle desséchait se couvrait de gerçures. Elle pénétrait dans l’âme et le cœur des hommes et le sang des combattants devenait gris aussi. » Les « choses vues » seront en partie utilisées pour « Vie et destin ». Comme cet incendie sur la Volga qu’il évoque dans son article « Le conseil militaire » : « Une nuit terrible des milliers de tonnes de pétrole enflammé s’échappèrent des dépôts incendiés par les projectiles allemands. La Volga toute couverte de pétrole s’embrasa. La terre brûlait. Des torrents de feu se précipitaient des pentes abruptes. Toute la nuit, le conseil militaire se tint sur les bords de la rive parmi les flammes noires mugissantes. Rodimtsev, commandant de la division de la garde envoya des hommes sur le lieu de l’incendie. Ils revinrent et rapportèrent que le Conseil militaire était parti. « Sur la rive gauche ? – leur demanda-t-on. « Non, répondirent les soldats plus près des premières lignes. » Cela peut agacer – propagande, diront certains – mais ce n’est pas grandiloquent. L’héroïsme des combattants était indiscutable. Et ce portrait de Tchouïkov qui commandait la 62ème armée : « Pour lui, la défense de Stalingrad n’était pas seulement un problème militaire ; il percevait et sentait le caractère romantique de cette guerre, sa beauté cruelle et sombre, la poésie de la défense à mort par laquelle il contraignait par un ordre de fer les commandants et les soldats de l’armée rouge. » Là, on peut voir pointer une esquisse de reproche. L’article « Ce que voit Tchékov » est consacré au tireur d’élite Anatole Tchekhov (ce n’est pas un cousin d’Anton) moins célèbre que Zaïtsev qui servit de modèle à Annaud pour son film Stalingrad. Fils d’un ouvrier alcoolique qui brutalisait sa femme et ses fils, ce jeune homme avouait n’avoir jamais eu de jeu guerrier dans son enfance. « Il ne voulait plus qu’une chose : que les Allemands cessassent de marcher dans Stalingrad en étalant leur morgue. Il arriva à es fins. Au soir de sa première journée, les Allemands ne marchaient plus, ils couraient. Et à la fin du deuxième jour, ils rampaient. » Certes les articles de Grossman reflétaient pour partie la propagande de guerre de l’état-major soviétique. Mais la qualité d’écriture était là. Et ces matériaux, rassemblés dans des circonstances plus que difficiles et dangereuses, constitueront les pierres de son futur grand roman.
Yvon - Le 11 février 2025 à 09:33