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Curiosité / Marcel Hénaff
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Nous admettons volontiers qu'il y a un rapport entre la curiosité intellectuelle et l'ouverture d'esprit et, du même coup, avec la tolérance et la discussion démocratique. Le cercle semble vertueux. Ces vues s'enracinent dans une ancienne et grande tradition. Aristote, dès les premières lignes de sa "Métaphysique", déclare : "Tous les êtres humains possèdent un désir naturel de savoir." Plus loin, il avance : "C'est l'étonnement qui pousse les hommes à philosopher. Aristote n'a pas une théorie de la curiosité comme telle, mais tout ce qu'il décrit dans ces pages y contribue. L'étonnement en est plutôt la condition ; il est ce qui nous arrive. En revanche, la curiosité est active; elle est désir et d'abord désir de connaître. Le désir est force (dynamis) et mouvement. Sans ce désir, la recherche du savoir n'aurait pas lieu et la science ne pourrait commencer. Pourtant, les Grecs - Aristote inclus - ont développé une conscience aiguë des limites du savoir. Le domaine divin ne saurait être exploré sans danger. Telle est la leçon de la tragédie, et d'abord celle d'Oedipe. Il y a une arrogance fatale (hybris) à prétendre connaître ce que les dieux nous cachent. Cela ne s'apprend pas par la connaissance des causes et concerne la transformation de soi.
Voir le numéro de la revue «Esprit, 445, 01/06/2018»
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