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Avis des lecteurs
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un personnage
Ouh là là ! Faire la critique de ce livre est une tache bien ardue. D’un côté, cette biographie est excellentissime. Non seulement riche et bien référencée, mais conduite avec un souci constant de vérité et de mesure. Ce qui m’embarrasse c’est le sujet même de cette biographie, Simone de Beauvoir, le « castor », dénommée ainsi par Sartre tout simplement parce que Beauvoir est une forme proche du vieux français « bièvre » qui désignait ce gentil animal. Il y a tant de célébrations dithyrambiques sur cette figure de proue du féminisme, que moi, homme blanc, hétérosexuel, j’ai l’impression de devoir marcher sur des œufs pour oser émettre la moindre réserve. Adolescent, j’ai eu une immense sympathie pour Simone de Beauvoir. En classe de terminale, ayant choisi de faire un exposé sur son livre « Une morale de l’ambiguïté » je l’ai contactée un soir après avoir réussi (difficilement) à me procurer son numéro de téléphone. Je me souviens d’une voix autoritaire et peu amène, avec une réponse définitive : « Mon jeune ami pour connaître mon œuvre, relisez mes livres ». Je ne lui en ai guère voulu, poursuivant la lecture de ses livres avec avidité. Deidre Bair a établi avec Beauvoir des relations de confiance pour obtenir de longues interviews avec elle. Je ne reviendrai pas sur tous les moments de la vie de Simone, brillamment analysés par notre biographe. Ses contributions à la cause des femmes sont bien mises en valeur. La quête d’authenticité de Bair ne l’empêche nullement de souligner, sans jugement de valeurs, les petites faiblesses de notre écrivaine- philosophe. L’indulgence n’était notamment pas la vertu majeure de Simone. Particulièrement dans ses relations avec Sartre. Jalousie possessive ? Pas du tout, répondra-t-on, puisqu’elle admettait sans réserve les amours contingentes de Sartre. Sans doute, mais elle supportait difficilement l’admiration et l’amitié que Sartre montrait envers certains. Jean Genet l’irritait particulièrement. Chargé par Sartre de relire son projet de livre « Saint Genet, comédien et martyr », elle peinait nous dit Bair, parce qu’elle n’avait jamais pu se faire à Genet qu’elle qualifiait gentiment de « tantouze, de pédé … un salaud protégé de Sartre. » (La source de ce passage édifiant nous est donnée en note : c’était Truman Capote). Beauvoir trouvait parfois le « saint et martyr » drôle, mais pas quand elle voyait Sartre l’écouter avec extase. « Elle était gênée quand il décrivait en détails ses aventures homosexuelles, mal à l’aise quand il parlait de vols, d’extorsion, de passage à tabac. Sartre était fasciné, elle révulsée. » Cette jalousie se déploya plus tard de façon exacerbée envers Benny Levy lorsqu’il devint secrétaire de Sartre et exerça sur lui une influence insupportable pour elle. La publication des lettres de Sartre fut l’occasion de duels non mouchetés avec d’anciennes amies de Sartre comme Olga qui refusa cette exposition de sa vie privée et fut exaspérée de ce que Beauvoir passât outre. Leur rupture fut définitive et Olga mourut quelques années plus tard sans s’être réconciliée avec elle. Avec la fille adoptive de Sartre, les rapports furent abominables. Arlette répondait à une journaliste de L’Express qui l’interrogeait sur l’opportunité de la publication de cette correspondance, qu’elle-même n’aurait pas pris cette initiative. Pour ce qui la concernait, elle avait décidé de léguer les lettres qu’elle avait reçues de Sartre à la Bibliothèque nationale. Au moment de cette parution, on se posa la question de savoir pourquoi Beauvoir s’était refusé à publier ses propres lettres à Sartre. Les réponses de Simone furent floues : elle commença par dire qu’elle ne les avait pas publiées parce qu’elle les avait perdues ou les avait confiées à d’autres mains – Olga, sa mère, sa sœur, qui les avaient égarées. Et quand on s’étonnait qu’elle ait confié ses lettres à d’autres tout en conservant soigneusement les lettres de Sartre, elle se fâchait. Et pour finir elle confiait : « C’est simple ; elles ne sont pas intéressantes. » Pour qui s’intéresse à la vie de Simone de Beauvoir, à ses rapports avec la cause féministe, à ses relations avec Sartre et avec son époque, et ce sans vouloir se repaître d’une hagiographie lénifiante, je conseille vivement ce livre. Mais comme le dirait une de nos plus célèbres babeliotes, ce n’est après tout que mon humble avis.
Yvon - Le 28 juin 2024 à 12:12