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"RENAISSANCE DU CŒUR : LE VOYAGE D'EULALIE"
53 pages. Temps de lecture estimé 40min.
Je m’appelle Eulalie NEEMA. Ce matin-là, je ne savais pas que le monde pouvait se briser en une seconde. J’avais onze ans. Et comme toutes les petites filles de mon âge, j’étais encore habitée par des rêves simples : avoir de bonnes notes à l’école, jouer à la corde avec mes amies, manger des beignets sucrés au retour de classe… Et surtout, retrouver les bras de maman le soir, quand l’odeur du foufou et des feuilles de manioc envahissait la maison. Il était un peu plus de 8h30, ce lundi 5 juin 2000, quand je suis sortie de chez nous. Ma petite maison se trouvait dans le quartier Mangobo, modeste mais pleine de vie. Papa m’avait embrassée sur le front avant de partir plus tôt au marché, et maman m’avait tendu ma petite boîte métallique de repas. Mon petit frère, Prince, m’avait fait un clin d’œil en courant vers le robinet avec son ballon troué. En sortant, le soleil caressait encore doucement les feuilles des manguiers. L’air sentait la terre fraîche, celle qui promet un jour calme. J’étais joyeuse. Mon uniforme bien repassé, mon cartable presque vide. La journée s’annonçait paisible. Mais arrivée à la maison de mon amie Mado, tout changea. Elle sortit en courant, le visage espiègle, tenant une orange déjà entamée. — Eulalie, on n’y va pas aujourd’hui ! Je n’ai pas fait mes devoirs de maths et j’ai peur du maître Kalume, dit-elle en riant. Je riais aussi. Mado avait toujours une idée pour échapper à l’école, et bizarrement, ce jour-là, son idée me séduisit. On s’assit dans sa cour, sur un vieux pneu qu’on avait décoré de tissus déchirés. Nous avons commencé à chanter une chanson qu’on avait inventée. Puis, comme deux enfants insouciantes, on jouait à "maman et bébé", avec des pierres pour poupées. Vers 10h00, un bruit étrange brisa l’air. Un bruit que je n’avais jamais entendu. Un grondement sourd, suivi d’un fracas qui fit trembler la terre. Puis un sifflement. Et puis... une explosion. La cour trembla. Le ciel sembla s’assombrir. Mado se figea. Moi, je ne comprenais pas. Puis, les cris ont commencé. Les gens couraient, hurlaient. Des enfants en larmes. Des mères trébuchant, tenant des bébés. Un homme au visage ensanglanté passa devant nous. — Courez ! La guerre est là ! La guerre ? Je ne comprenais pas. Mon cœur s’accéléra, une sueur glacée coula le long de ma colonne. Et là… j’ai pensé à ma famille. À maman. À Prince. À papa. À la maison. Je me suis levée d’un bond. Je n’ai même pas dit au revoir à Mado. J’ai commencé à courir. Traversant des rues envahies de fumée. Les tirs fusaient dans tous les sens. Les balles sifflaient comme des abeilles meurtrières. J’avais l’impression d’être dans un rêve. Un cauchemar sans fin. En approchant de chez nous… je ne voyais plus notre clôture. Plus de toit. La maison était en flammes. Et là… mon monde s’est effondré.
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