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Holbein "Les Ambassadeurs" : quelques axes pour une lecture historique / Paul Steib
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A l'instar d'autres portraits d'Holbein le Jeune, le tableau "Les Ambassadeurs" est un condensé de références plus ou moins cryptées à un contexte multiforme. Or, c'est précisément la contextualisation du tableau qui permet, comme pour tout document historique, d'en dégager la portée et de le comprendre. Représentant Jean de Dinteville et Georges de Selve, envoyés de François Ier auprès du roi d'Angleterre, l'huile sur toile revêt tout d'abord les caractéristiques d'un portrait de cour exaltant la magnificence et les vertus des deux modèles. Ceux-ci jouissent de la faveur du roi de France et constituent des exemples de courtisans attachés, par ailleurs, aux études humanistes. Ces dernières sont évoquées au travers des objets scientifiques peints par Holbein aux côtés des deux personnages. Les objets que le peintre a disposés entre Jean de Dinteville et Georges de Selve constituent autant de témoignages des circulations intellectuelles, commerciales et artistiques d'une Europe de la Renaissance dont les horizons géographiques s'élargissent au reste du monde. Enfin, Holbein a parsemé son oeuvre de références aux affrontements religieux nés de la Réforme luthérienne, tandis que l'anamorphose au premier plan manifeste l'omniprésence de la mort. Face aux risques de schisme anglican et aux craintes de dissolution de la chrétienté, le tableau propose un itinéraire spirituel crypté qui correspond aux convictions des deux modèles : celui d'un humanisme chrétien christocentrique marqué par la pensée de Lefèvre d'Etaples. Cet humanisme voit dans le Christ crucifié l'assurance d'une réforme de l'Eglise établie et d'une victoire sur les divisions religieuses et politiques au sein de la chrétienté.
Voir le numéro de la revue «Historiens et géographes, 431, 01/07/2015»
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