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Etudier l'Afrique des grands nombres / Boris Samuel
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Les travaux de Morten Jerven offrent une mise en perspective historique des techniques employées par les administrations nationales et les organisations internationales pour mettre en nombre et analyser la croissance des économies africaines. Selon lui, les réalités économiques et sociales nationales échappent largement aux travaux des statisticiens et des économistes depuis le début de l'ajustement structurel. L'informatisation des économies, la faiblesse des institutions statistiques et le manque de rigueur méthodologique des experts internationaux auraient conduit à la production de fictions statistiques. Les analyses de M. Jerven remettent en question les récits produits par l'histoire économique quantitative, comme l'existence d'une supposée faillite économique africaine depuis 1960. Elles interpellent aussi la sociologie de la quantification en mettant en lumière des cas nationaux où les calculs de la croissance seraient aléatoires. Mais son approche souffre de plusieurs faiblesses. Alors que ses premiers travaux reposaient sur des études de cas nationaux détaillées, l'auteur s'est récemment concentré sur la critique des discours produits à l'échelle du continent, les comparaisons internationales et les études économétriques, sur la croissance en particulier. Son travail s'est éloigné d'une ethnographie fine des chiffres et a fait de la dénonciation des récits continentaux son fil rouge. Ce glissement l'empêche de penser finement la place des chiffres dans les sociétés, la pluralité des positions et des modes d'action qu'ils engagent, ou encore les trajectoires historiques singulières dans lesquelles les calculs de la croissance africaine s'insèrent.
Voir le numéro de la revue «Annales, 71-4, 01/10/2016»
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