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Marcel Pagnol et les moralisateurs / Karin Hann
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Après la Renaissance qui devait bouleverser l'histoire de la littérature et des arts, la querelle des Anciens contre les Modernes devient un débat récurrent à travers les siècles. Au XVIIe, Boileau promeut l'Antiquité grecque et romaine dans le théâtre classique, s'opposant ainsi au désir de modernité de Charles Perrault, lequel revendique le droit à l'innovation. Le XVIIIe est un bouillonnement intellectuel et social qui mènera à l'éclatement de la société française à travers la Révolution. On qualifie alors le régime d'"ancien" dans tout ce que ce mot peut avoir de péjoratif, et le préromantisme supplante peu à peu l'idéal classique. Mais dès 1830, la bataille d'Hernani fait rage, secouant de nouveau le monde littéraire, et opposant cette fois les romantiques, sous l'égide de Victor Hugo, à ces mêmes classiques, dans une volonté d'assouplissement des formes et de liberté créatrice qui met le moi au centre de sa recherche. Cet éternel conflit se métamorphose encore au XXe, dans une littérature de l'idée, plus engagée politiquement et marquée, dans la seconde moitié du siècle, par les bouleversements de mai 1968. Toutes ces batailles visaient surtout le style. On pouvait légitimement imaginer, en 2020, être affranchis de ces clivages, dans une liberté de ton chèrement acquise. On découvre qu'il n'en est rien. Le débat fait sa mue, et les antagonismes se situent aujourd'hui, ce qui est plus grave, non dans la forme mais dans le fond; dans une volonté - légitime ou non - de distinguer l'oeuvre de l'artiste, ou bien dans l'analyse des thèmes-forces d'un auteur à l'aune de ce qu'on appelle, sans complexe, le " politiquement correct". Or, dès lors que la morale s'invite dans le débat, immanquablement, elle le sclérose.
Voir le numéro de la revue «Revue des deux mondes, 3841, 01/10/2023»
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